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Parce que :
- ça
- lui
- eux
- l’art
- ma vie
- le livre
- le désir
- tout ça
- le plaisir
- les livres
- parce que
- c’est ainsi
- Harlequin
- il y a la vie
- je n’écris plus
- c’est comme ça
- Marcel Duchamp
- je suis paresseux
- je suis comme ça
- j’aime finir les plats
- j’aime programmer
- je souhaite le potlach
- j’aime bien me répéter
- je n’ai pas de mémoire
- le monde n’est pas fixe
- je n’ai pas peur du vide
- je ne sais pas qui je suis
- je n’écris plus beaucoup
- l’inspiration est un travail
- l’imaginaire est calculable
- la beauté est un problème
- je ne lis pas tous les livres
- l’exégèse tue la littérature
- des textes je préfère le flux
- j’aime tout ce qui est relatif
- le monde change sans cesse
- je n’ai plus aucune certitude
- ça pose quelques problèmes
- j’aime l’en-soi des processus
- il n’y a pas d’absolu littéraire
- même si c’est vrai, c’est faux
- notre époque est spectaculaire
- Pierre Ménard de J.L. Borges
- la littérature met en jeu du jeu
- le livre est en soi un problème
- je ne sais pas ce que je produis
- j’écris pour prolonger le temps
- la beauté n’est pas le problème
- les formes ne sont jamais seules
- tout aurait pu se faire autrement
- l’ordinateur est un méta-médium
- je crois en la beauté des concepts
- toute création est communication
- la variation est l’essentiel du texte
- je crois en l’efficacité des concepts
- cette liste sera toujours incomplète
- je vis dans des contextes différents
- cette liste ne sera jamais exhaustive
- la génétique textuelle me fait vieillir
- tout livre est aujourd’hui un format
- j’ai besoin de l’épaisseur du monde
- j’ai toujours aimé écrire sur les murs
- je hais les gloses et les commentaires
- on ne sait jamais avec qui on couche
- il n’y a pas de vérité révélée du texte
- la littérature est une technique du réel
- je n’ai plus les naïvetés de ma jeunesse
- l’expression des sentiments me fatigue
- l’informatique est un langage universel
- je ne veux pas savoir ce qu’est un livre
- il n’y a plus de Grands Récits possibles
- il y a beaucoup de murs dans nos villes
- j’ai déjà souvent répondu aux pourquoi
- la programmation est un des beaux-arts
- j’aime jouer avec des objets composites
- je ne lis pas jusqu’au bout tous les livres
- je ne viendrai jamais à bout de cette liste
- l’informatique est un nouvel humanisme
- la plupart des livres ne sont que des livres
- le siècle à venir sera virtuel ou ne sera pas
- je crois en la force motrice de l’imaginaire
- je recherche une littérature à n-dimensions
- j’aime travailler sur le même et le différent
- je considère mes lecteurs comme des adultes
- le pourquoi m’importe plus que le comment
- le livre est devenu un instrument de pouvoir
- je ne sais pas où je vais mais je suis en route
- tout texte se crée dans la relativité des textes
- je préfère la consommation à la conservation
- la générativité est une exhaustivité reposante
- je ne sais pas pourquoi ce serait un problème
- la langue n’existe que par ceux qui la parlent
- quand le moment sera venu je dirai pourquoi
- la plupart de mes écrits ne sont pas des livres
- je rêve d’inscrire mes poèmes dans la lumière
- l’absolu de l’imaginaire est dans les processus
- je recherche une littérature non démonstrative
- je préfère privilégier la création sur la mémoire
- le livre qui n’a que cinq cent ans est trop jeune
100. je sais que vous n’irez pas au bout de cette liste
101. je suis venu trop tard dans un monde trop vieux
102. je ne connais pas de théorie sémantique correcte
103. je veux débarrasser la littérature de la subjectivité
104. nous sommes entre le 20 ème et le 21 ème siècle
105. je ne me prends pas pour un auteur de droit divin
106. le monde ne tient que par notre invention du monde
107. ce qui vaut la peine d'être fait vaut la peine d'être fait
108. « Les preuves fatiguent la vérité. » (Georges Braque)
109. le livre avec ses cinq cent ans a atteint sa limite d’âge
110. je rêve de faire de l’écriture un système d’interactions
111. l’état d’arrêt d’un texte n’est qu’un moment du texte
112. il existe aujourd’hui des machines à produire des livres
113. il n’y a pas de réponse simple à une question complexe
114. j’aime l’idée de faire de l’univers un support de lectures
115. je ne relis que très rarement les livres que j’ai lu une fois
116. je n’ai pas écrit la plupart de mes écrits qui sont des livres
117. je suis fasciné par la puissance absolu de l’opposition 0 et 1
118. j’aime travailler les oppositions entre le fixe et le dynamique
119. toute proposition littéraire est une proposition expérimentale
120. je souhaite remplir d’écrits toutes les dimensions de l’univers
121. il n’y a aucune raison aucune raison que cette liste s’arrête là
122. je me sens toujours enfermé dans ce que l’on appelle l’écriture
123. ce qui m’intéresse c’est la mémoire des processus de la création
124. toute écriture de livre doit se soumettre aux carcans de l’édition
125. dans chaque langue les mêmes mots disent infiniment de choses
126. j’aime par dessus tout faire du vélo au soleil à l’ombre des forêts
127. je déteste tout ce qui se présente comme ne devant jamais bouger
128. la littérature programmée a toujours affaire avec la métalittérature
129. Lautréamont, Raymond Roussel, Gertrude Stein et quelques autres
130. « Le langage est un ensemble statistique. » (Paul Valéry, Cahiers I)
131. les techniques numériques permettent de sortir la littérature du livre
132. je ne crois pas en dieu quels que soient les avatars dont on l’affuble
133. j’aime transformer les murs en des livres qui ne sont plus des livres
134. « Les livres ne sont jamais achevés. » (Paul Auster, Le carnet rouge)
135. je ne mesure qu’un mètre soixante huit (soixante neuf les bons jours)
136. la littérature est largement indépendante du médium spécifique qu’est le livre
137. les mots ne parlent du monde que dans la mesure où le monde nous parle
138. j’ai horreur du roman rouleau, du livre qui ne peut se lire que du début à la fin
139. écrire, c’est essayer de maîtriser le temps, son temps propre et celui des autres
140. je suis né le 3 octobre 1942 et non pas le 4, ce qui est essentiel dans mon œuvre
141. je cherche une distance entre l’écriture et la subjectivité : mon Je est un autre…
142. les quelques livres que j’ai écrits ne plaisent pas aux éditeurs qui me plaisent
143. je suis partisan du « jeu d’un vol ou d’une voltige indéfinie du sens » Derrida
144. je considère que Kant se trompe lorsqu’il affirme que la beauté est sans concepts
145. le plus difficile est de trouver la bonne manière de répondre à cette question
146. «Le récit — plus encore que le sexe — dit sans arrêt "encore !"» (Pascal Quignard)
147. « J'aime mieux une pensée fausse qu'une routine vraie. » (Alain, Propos d'un normand)
148. j’ai envie de tracer un sentier gratuit à l’écart des autoroutes payantes et trop fréquentées
149. ceux de mes écrits qui semblent être des livres sont souvent tout autre chose que des livres
150. l'ordinateur permet une anti-culture hiérarchique, quelque chose comme une « post-culture »
151. je ne recherche pas l’éternité (position métaphysique) mais l’infini (position mathématique)
152. “Tout ce que je fais et pense n’est que specimen de mon possible” (Valéry, Monsieur Teste)
153. « Il est possible pour un récit de continuer à s'écrire sans auteur. » (Paul Auster, Le carnet rouge)
154. « L'imaginaire est ce qui tend à devenir réel. » (André Breton, Le revolver à cheveux blancs)
155. programmer de la littérature consiste à travailler au niveau de l’imagination de l’imaginaire
156. « Ce qui est maintenant prouvé ne fut autrefois qu'imaginé. » (Blake William, Proverbes de l'enfer)
157. « La mission actuelle de l’art est d’introduire le chaos dans l’ordre » (T.W. Adorno, Minima Moralia)
158. « Les livres qui passent d'une époque à l'autre sont des fruits morts. » (Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté)
159. « Que faire ? C'est avec cette question que j'ai commencé à ne pas dormir. » (Julio Cortazar, Marelle)
160. « Les paresseux ont toujours envie de faire quelque chose. » (Vauvenargues, Maximes et réflexions)
161. « Il faut apprendre à haïr la mort sous toutes ses formes. » (Gérald Neveu, Comme les loups vont au désir)
162. écrire relève toujours d’une conduite cognitive que j’oserai désigner comme « programmation expérimentale »
163. « Toutes choses furent faites par Hasard et rien de ce qui fut fait ne le fut sans lui. » (Luke Rhinehart, L'Homme-dé)
164. « N'est-ce pas ce qu'on peut faire de mieux avec l'écriture que dérouter ? » (Claude Ollier, Cité de mémoire)
165. « On ne peut pas transporter partout avec soi le cadavre de son père » (Guillaume Apollinaire, les peintres cubistes)
166. « La technologie évolue, le langage change, la voix mue, le destin nous incombe. » (Jean Baudrillard, Cool memories)
167. « Les livres sont ennuyeux à lire — pas de libre circulation — le chemin est tracé, unique. » (Henri Michaux, Passages)
168. S'intéresser aux concepts, croire au pouvoir des modèles, s'investir dans ce qui s’écrit — voilà qui submerge tout le reste
169. les mots du texte informatique sont irrécusables qui n'ont pas à fournir d'autres preuves que celles qu'ils portent en eux-mêmes
170. « L'art suprême et l'être suprême ont ceci de commun qu'ils dépendent entièrement de nous. » (E.M. Cioran, Aveux et anathèmes)
171. j’ai fait « écrire » mes textes par un ordinateur parce que l’idée m’en est venue, je pense que c’est une raison suffisante pour le faire
172. dés que l'écriture du monde cesse, le réel réaffirme sa présence ; dés que la subjectivitisation s'efface, l'objectivisation prend le dessus
173. la littérature informatique, telle que je la conçois, n'a rien à voir avec une littérature d'ingénieur elle se veut, avant tout, de la littérature
174. le recours à la technologie introduit une rupture volontaire, une mise à distance, une mise en évidence de la féconde opacité des mots
175. « Chaque fois que l'homme maîtrise il déclenche mille phénomènes immaîtrisables. » (Joseph Simas, Cet autre double en personne)
176. l’informatique permet de repenser totalement les relations du texte et du contexte, et ce jusque dans leurs conséquences les plus extrêmes
177. « Une vie se compose d'éléments multiples. Mais le nombre des compositions possibles est infini. » (Marc Saporta, Composition n°1)
178. « La valeur d'une pensée se mesure aux distances qu'elle prend avec la continuité de ce qui est déjà connu » (T.W. Adorno, Minima Moralia)
179. la littérature informatique a pour ambition de prolonger la littérarité dans les zones où les dispositifs antérieurs ne permettaient pas d'imaginer aller
180. l’ensemble des connaissances engrammées dans les possibles de texte est plus important que les textes produits et que l’être même de leurs auteurs
181. j’adore la possibilité de détourner un outil aussi pragamatique et industriel que l’ordinateur pour le mettre au service du non-indispensable
182. « Après cela qu'est-ce qui change et qu'est-ce qui change après cela et après cela et qu'est-ce qui change… » (Gertrude Stein, Lectures en Amérique)
183. « Les choses changent tellement ici. Chaque fois que je regarde de nouveau, il y a quelque chose de différent. » (Lewis Carroll, Sylvie et Bruno)
184. « J'aurais pu commencer par le chapitre I mais tout le monde même moi en aurait eu assez. » (Gertrude Stein. L'histoire géographique de l'Amérique)
185. « C'est à travers ce qu'il fait que l'homme vit et revit son empoignade radicale avec ce qui le défait, et qui est la mort. » (Daniel Sibony, Entre dire et faire)
186. « Puisqu'il faut raconter, l'idéal serait que la machine à écrire (j'écris à la machine) puisse continuer à taper toute seule… » (Julio Cortazar, Les fils de la Vierge)
187. « Il créait des romans que non seulement l'on pouvait lire, entendre et voir, mais dans lesquels on entrait comme en un jardin. » (Ernst Jünger, Abeilles de verre)
188. nous sommes à l’ère des prothèses où la machine devient un prolongement naturel de l'homme pour un corps non immédiatement sensoriel mais pensé
189. “La technique offre une voie de choir hors du monde, de penser un autre monde, de réaliser un simulacre d’autre monde.” (Marc Guillaume, Figures de l’altérité)
190. « Subitement eh bien peut-être pas subitement mais peut-être oui je sais où je vais et je n'aime pas ça comme ça. » (Gertrude Stein, L'histoire géographique de l'Amérique)
191. « On prend les romans parus dans la Revue des Deux Mondes au 19 ème siècle, on rajoute des avions et des téléphones, et le tour est joué. » (Philippe Sollers, Passion fixe)
192. la littérature n'existe que parce que, tournant, bougeant, elle se maintient, perdure dans des mouvements complémentaires, seuls capables de lui permettre de surmonter le chaos
193. La littérature n'a pour moi d'intérêt que comme mise en scène, exemplarisation, de l'inter-générativité du sens, plus exactement des sens, avec toutes les ouvertures signifiantes de cette expression
194. « Si les années m'ont appris une chose, c'est ceci : du moment qu'on a un crayon dans sa poche, il y a de fortes chances pour qu'un jour ou l'autre on soit tenté de s'en servir. » (Paul Auster, Pourquoi écrire ?)
195. « L'histoire commence et s'arrête, avance et puis se perd, et, entre chaque mot, quels silences, quelles paroles s'échappent et s'évanouissent pour ne jamais reparaître. » (Paul Auster. Le voyage d'Anna Blume)
196. Du point de vue d'un romancier, tout pouvait être modifié et amélioré, révisé, renouvelé à l'infini — chaque plan ne représentait qu'une face d'un grand volume à révéler. » (Richard Ford, Une situation difficile)
197. “Je sens infiniment le pouvoir, le vouloir, parce que je sens infiniment l’informe et le hasard qui les baigne, les tolère, et tend à reprendre sa fatale liberté, sa figure indifférente, son niveau d’égale chance.” (Valéry. Monsieur Teste)
198. Il n'y a plus de « culture » ayant valeur immanente nécessairement liées aux sociétés hiérarchisées et qui n'ont jamais empêché la barbarie, mais un ensemble de "cultures" à égalité (Georges Steiner. Dans le château de Barbe-Bleue)
199. Tant d’histoires tronquées se déroulent à chaque heure sur cette sombre terre qu’elles ont presque la supériorité sur les autres dont les personnages « posent des fondations pour l’éternité, d’une durée plus brève que la destruction et la ruine. » (Thomas Hardy, A la lumière des étoiles Garnier-Flammarion, 1987)
200. "Je rêve d'un livre qui serait assez puissant pour contenir tous les éléments de son être : mais ce n'est pas le genre de livre auquel on est habitué de nos jours. Par exemple, sur la première page : un résumé de l'action en quelques lignes. On pourrait ainsi se passer des articulations du récit. Ce qui suivrait serait le drame à l'état pur, libéré des entraves de la forme. Je voudrais faire un livre qui serait libre de rêver." (Lawrence Durrell, Justine)
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Depuis la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection, nous savons que la sérenpidité est créatrice, qu'elle est même une des bases essentielles de la création artistique mais cette rencontre, si elle est facile à dire en mots et en phrases, ce dont ne se sont pas privés les surréalistes est, dans le domaine de l'art pas si facile à réaliser car pour l'essentiel l'art crée des objets situés dans des lieux et des espaces donnés et donc, d'une façon certaine, condamnés à une certaine fixité et même à une certaine intangibilité. Toutes les institutions artistiques se sont créées autour de ce concept et il est presque impossible, pour un musée par exemple, d'imaginer qu'il puisse en être autrement, c'est-à-dire que les objets qu'ils proposent au regard changent sans cesse de forme, de place, de contexte; que de façon dynamique ils modifient leurs environnements créant ainsi des rencontres insolites et créatrices.
La littérature, le roman davantage encore que la poésie qui, depuis des lustres essaie, sans y parvenir vraiment, de trouver des solutions à cette contrainte, est ainsi, à cause de la technologie particulière qui la diffuse — le livre —, prisonnière de la linéarité. Même si certains auteurs se sont efforcés de sortir de ce piège, ils sont, d'une part très peu nombreux et, d'autre part, encore massivement conditionnés par la ligne de la trame fictionnelle.
Depuis peu — très peu au regard de l'histoire de la littérature — une nouvelle technologie est apparue qui, sur ce plan au moins, offre des possibilités inouïes répondant au mieux à la situation de l'époque actuelle qui ne peut plus croire à la linéarité des évolutions humaines mais est au contrainre consciente de son infinie complexité. Sur le réseau, un texte peut ne plus être conditionné par la ligne, la linéarité y est même une contrainte presque incompatible. Au contraire, comme le montrent à l'évidence les moteurs de recherche, le rapprochement entre textes ou fragments de textes se fait de façon soit sémantiques soit largement aléatoire. Deux textes peuvent être rapprochés parce qu'ils contiennent le même mot ou la même expression ce qui ne grantit en rien leur homogénéité sémantique, mais ils peuvent l'être aussi par diverses modalités de marquage: tags internes ou externes, liens implémentés, liens calculés, etc… La littérature d'aujourd'hui, notamment le roman, se trouve donc là devant un immense territoire de création encore vierge, inexploré sinon dans les marges. Mon projet d'hyperfiction se propose de le parcourir et d'utiliser au mieux les possibilités créatives qui s'y trouvent, découvrir des filons de littérature, en faire apparaître les minerais, les transformer en de nouveaux objets textuels… Mais l'écriture n'est pas seule, elle n'est même rien sans on symétrique, la lecture. Il s'agit donc, dans le même temps, de construire des outils de lectures adéquats à ces nouvelles possibilités d'écriture. Car ce qu'elles définissent c'est une non finitude des textes, chacun d'eux s'ouvre sur une infinité d'autres et cela dans un mouvement sans fin. Chaque lecture génère de nouvelles lectures. Il est donc temps d'apprendre à lire dans le monde numérique et de se défaire du confort relatif de la lecture linéaire.
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Saisi par le commerce, ayant écrasé la poésie, gangrené par les idéologies du réalisme, formaté par la technologie linéaire du livre, le roman est devenu la forme littéraire la moins artistique qui soit, elle se résume désormais à ce que Gertrude Stein, dès les années 30, appelait déjà le roman de confort, c'est-à-dire une littérature où le lecteur est le maître et où il est indispensable de lui proposer ce qu'il attend. Il n'est pas étonnant que le roman dit policier et ceux qui par de nombreux points ressemblent à cette forme soient devenu hégémonique: une histoire avec un début et une fin, quelques personnage entre lesquels se tissent des relations plus ou moins conflictuelles, mais surtout assez prévisibles tout en se prétendant imprévisibles: l'auteur tient toutes les ficelles de ses marionettes. Le roman ne relève plus ainsi de l'inattendu artistique mais de la fabrication artisanale avec tous les aspects commerciaux qui en relèvent.
Le numérique, ou plus exactement la modélisation numérique est pourtant une chance historique inespérée de remettre l'artistique au cœur de la création romanesque. C'est-à-dire de lui donner des formes qui déstabilisent son lecteur au lieu de l'enfermer dans ses confortables certitudes et l'entraînent vers une sémiose l'obligeant à repenser ses modes d'appréhension. La soixantaine de propositions "romans" de l'ensemble Marc Hodges relèvent de cette prétention en cassant de multiples façons la lecture linéaire — ordres des publications, temps des publications, multiplication de points d'entrée dessinant autant de points de vue de lectures, reprise ad libitum des "personnages", pages Facebook de divers personnages, répétitions, variations, invraisemblances, contradictions, chaos, flux, etc… — et ce, y compris dans des écrits qui semblent en relever. Ils constituent ainsi une première tentative d'approche de renouvellement des conventions romanesques par déstabilisation de leurs lecteurs.
D'autres propositions sont plus radicales comme photoroman qui utilise la génération automatique de phrases pouvant être autant de phrases d'un roman qui ne peut pourtant se constituer que dans la multiplication transversale de ses lectures et, dans l'espace duquel la photographie crée un autre texte, une autre façon d'aborder le rapport au texte tout en détruisant la tradition illustratrice naïve du roman photo. Haute Tension joue également sur d'autres registres mettant en scène un auteur omniprésent, exhibitionniste, autour duquel tou tourne mais dont le personnage principal, appelé symboliquement Monsieur Roman — personnage qui a par ailleurs ses propres espaces romanesques — construit ce qui ne veut pas être un "récit" mais un texte à la limite entre le texte de réflexion, la poésie et le récit, dans une égalité de dialogue avec l'auteur.
Dans tous ces textes, le hors-texte qui lie chacun d'eux à l'ensemble des autres, la génération automatique qui relativise la place de l'auteur, sont aussi importants que le texte lui-même. La lecture de l'ensemble ouvre sur une sémiose systématique. L'infinité des parcours possibles fonctionne comme un générateur de lecture symétrique au générateur de textes.
Deux autres romans sont plus radicaux encore car construit par des procédés entièrement automatiques: le Béta-roman de Palancy est le traitement automatique de deux textes romanesques anciens, redécoupés, mélangés et dont les fragments, classés par ordre alphabétique, constituent un texte nouveau qui bien qu'apparemment appuyé sur la modalité classique de lecture linéaire oblige son lecteur à pénétrer au cœur même des mécanismes de constitution sémantique. Enfin, Proust Memories est l'intégration, après un découpage automatique, d'un roman de Proust, donné comme matériau de traitement à un algorithme de génération de texte qui en propose à l'infini des lectures toujours renouvelées, entraînant le lecteur dans le vertige d'une création romanesque sans limites et l'obligeant à repenser toutes les conceptions qu'il peut avoir du genre.
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La génération automatique est un art du flux. Un générateur de textes peut en effet produire des centaines de milliers de textes. Ces textes, à la vitesse de génération sont proprement illisibles. Ils ne deviennent lisibles que lorsque artificiellement et temporairement figés pour une raison ou une autre. Les texte du flux sont des textes en mouvement. La lecture du flux est une lecture impossible. C'est ce paradoxe qui fait des textes de flux des interventions artistiques : ils rompent complètement avec toutes les conventions de lecture établies au cours des siècles en fonction de la technologie rendue possible par le livre. Technologie qui avait, elle-même, introduit une rupture forte avec ce qu'était l'appropriation de l'écrit avant le livre. Quand un lecteur est mis en face d'un texte de flux, il ne peut lire ce texte qu'en s'installant lui-même dans le flux car chacun des textes, pris en lui-même, n'est que le moment particulier d'un texte possible infini. Et c'est la raison pour laquelle les œuvres littéraires de flux sont passionnantes, elles mettent le lecteur au défi du mouvement, l'obligent à repenser ses modes d'appréhension des textes. Avec un texte en mouvement perpétuel, il n'y a aucun souvenir d'un texte particulier. Pourtant il y a un texte. Il y a des textes… et le souvenir de leurs mouvements, et le souvenir de fragments de textes qui se reconstruisent pour produire un texte supérieur, le texte des textes, et le texte de la mémoire des textes. Chacun des textes porte un moment du changement qui le produit, chacun signale qu'il se passe toujours quelque chose dans les textes, que leur fixité n'est qu'un épiphénomène dû à un moment particulier de l'Histoire car la langue bouge sans cesse, aucun mot ne veut jamais dire la même chose. A chacune de leurs utilisations, les mots bougent et c'est parce que nous acceptons ce mouvement qu'ils peuvent signifier quelque chose dans chacun de leurs nouveaux contextes. Chaque texte n'est pas totalement facteur d'émotion. Ce qui est facteur d'émotion c'est le fait que ces textes bougent, qu'ils changent, qu'ils dialoguent dans le temps de leur production, se répondent. Les textes de flux parlent à l'esprit humain comme aucuns autres car ils sont une concrétisation de la mobilité de l'esprit humain. Ils sont les textes les plus purs de l'esprit humain.
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